Afin de saisir de quoi-qu'on-cause ici je vous recommande de lire l'article précédent.
Le fait que l'on pose la question de la représentation noire au cinéma à cause de la sortie de ces deux films n'est pas anodin: il s'agit de reconsidérer la fiction à travers un prisme historique-en l'occurrence, celui de l'esclavage. Ce n'est pas un phénomène exclusivement américain, il recoupe la colonisation et l' Histoire internationale des NoirEs. Cependant, les Etats-Unis semblent accorder une plus grande place à un passé honteux que la France: il n'y a qu'à se remémorer les manifs d'extrême-droite suite à la sortie d'Hors-la-Loi de Rachid Bouchareb (la suite d'Indigènes) pour comprendre que mettre les gens face à une Histoire pas bien reluisante, même au cinéma, n'est pas une mince affaire. Vous me direz "oui mais quel rapport avec les NoirEs"? Le rapport étant que le colonialisme a touché NoirEs et Arabes en France, nous inscrivant une histoire commune, tellement commune que pendant longtemps (avant la bougnoulophobie généralisée) NoirEs et Arabes étaient mis dans le même sac. (souvent étiqueté "racaille" d'ailleurs) et qu'il est donc important, afin d'être le plus exhaustif possible, de prendre en compte cette histoire commune pour établir un parallèle avec les Etats-Unis.
Ne nous méprenons pas, si vous avez lu l'article précédent, vous savez désormais (vous en apprenez des choses ici, hein?) que les films abordant l'esclavage sans victimisation font pousser des couinements aux relents ku-kluxiens à une certaine frange de la population américaine, mais il s'agit d'une minorité. Aux Etats-Unis, surtout avec un Président Noir, il serait impensable que quelqu'un remette en cause l'esclavage ou la nécéssité des luttes pour les droits civiques. En France, il est impensable de s'excuser pour le colonialisme, qui est nié ou alors réhabilité. Pourquoi la France est-elle si prompte à se flageller (à raison) sur la Shoah, et sort grand nombre de films et téléfilms sur le sujet, s'est excusée à maintes reprises (et c'est tant mieux) et refuse d'admettre 300 ans d'esclavage ainsi que la colonisation et son mépris total des "indigènes"? Parce que les Juif-ves déportéEs étaient des FrançaisEs, des Blanc-hes, donc leurs égaux. La preuve, l'homophobie rampante en France qui s'épanouit en ce moment explique que les déportations d'homosexuel-les aient été passéEs sous silence, parce que ces gens là ne sont pas "comme eux". Tous comme les Tziganes.
Prenez un film comme Intouchables: tout le monde crie à la réconcialiation de race et de classe. Or, en étant bombardée de bande-annonce (même plus besoin de voir le film) et de témoignages émus de spectateur-trices, j'ai eu le sentiment que
1) les Noirs et les Arabes sont interchangeables: alors que les deux réalisateurs ont bien insisté sur la véracité de leur film (c'est tiré d'une histoire vraie, donc inattaquable idéologiquement) pourquoi remplacer l'assistant arabe par Omar Sy? Bien que j'aime beaucoup cet acteur, ça me fait un peu de peine qu'on ne le récompense que quand il joue un rôle de "Noir", c'est-à-dire jeune délinquant de banlieue, parce qu'en banlieue il n'y a que des Noirs et des Arabes, c'est bien connu, et ce sont tous des délinquants en puissance.
2) C'est un film classiste: vous en connaissez beaucoup des milliardaires qui cherchent des précaires pour leur faire profiter de leur train de vie? Le "choc des cultures" n'est induit que par la relation patron-employé, donc une relation de classe immuable.
3) Ce n'est pas du tout un film sur la façon de surmonter un handicap: touTEs les handicapéEs ne sont pas blindéEs de thune à ne savoir qu'en foutre, et n'ont pas toujours les moyens de se payer un assistant ou de faire du deltaplane. De même ils/elles ne roulent pas toutEs en Ferrari. Donc ton handicap, tu peux le surmonter mais seulement si t'es riche, sinon tu continues à galérer dans des immeubles pourris sans ascenseur. Une fois de plus, la réconciliation de classe, faudra me la sortir.
Je n'ai pas vu le film, je ne juge donc pas ses qualités cinématographiques. Ce qui m'a profondément gonflé en revanche c'est cette espèce de dégoulinade de bons sentiments entourant sa sortie et son succès visant à déculpabiliser les gens: regardez, nous ne sommes pas racistes, un film comme Intouchables fait des millions d'entrées, on récompense même un Noir.
Et les Kanaks du film de Kassovitz, vous les avez récompensés? Parce que là, étrangement, quand on montre des Noirs non soumis à un rapport de classe et qui se battent pour leur liberté, il n'y a plus personne.
J'avais repensé à la représentation des NoirEs-et plus particulièrement des femmes-à la sortie du dessin animé La Princesse et la Grenouille: il aura fallu attendre 2009 pour qu'une princesse noire (afro-américaine) fasse son apparition. Et encore, elle passe les trois-quart du film en grenouille, donc pour la visibilité, on repassera. Bien sûr la réalité de la Nouvelle Orléans des 20's est édulcorée-même si on voit les quartiers pauvres et que Tiana enfant monte au fond du bus avec sa mère au début du film- et c'est normal, on va pas montrer aux gamins la réalité du KKK, les lynchages et les NoirEs penduEs aux arbres, mais là encore j'imagine la déception des petites filles noirEs qui avaient enfin un personnage féminin fort et plutôt glamour (pas une demoiselle en détresse) auquel s'identifier.
De même, la trilogie X-men cantonne Storm (Tornade) à un rôle secondaire, alors que c'est un personnage majeur du X-Univers. Et ne parlons même pas de son mari, T'challa, aka La Panthère Noire, qui devra attendre 2014 pour se voir adapté au cinéma.
Le propos n'est pas bien sûr de mettre des NoirEs partout en guise de caution, mais de prendre en compte une réalité sociale. Hélas, on n'est pas sorti des ronces quand on apprend que des fans de Hunger Games se sont plaints après qu'un personnage supposé blanc ait été interprété par une actrice noire (pour avoir lu cette bouse je puis confirmer que dans le roman la gamine est bien noire, mais passons) arguant que "quand elle meurt on est moins tristes". No comment.
Revenons en France.
Le dernier film français majeur sur une femme noire, c'est Venus Noire et il n'a pas bénéficié d'une grande couverture médiatique: l'horreur de l'exploitation d'une femme noire devait être trop difficile à avaler pour toutEs les négationnistes de l'esclavage et du colonialisme, celles et ceux qui te sortent avec aplomb que les jeunes de banlieue sont manipulés et qu'on leur fait croire que leurs grands-parents ont été appelés pour reconstruire la France et parqués dans des cités pourries, alors que bien sûr tout cela N EST JAMAIS ARRIVE. Pas plus que les Algériens à la flotte, pas plus que la Françafrique, pas plus que les Africains à qui on a fait miroiter la nationalité française s'ils allaient se faire massacrer et qu'on a renvoyé chez eux à coup de pied au cul dès les conflits terminés.
A ce sujet je vous recommande cette série de documentaires.
En attendant plus de films de fond, voici tout de même une petite sélection:
Dorothy Dandrige, le destin d'une diva (TV film)
Stormy Weather (1943)
Un film musical avec de nombreuses stars noires (Cab Calloway, Les Nicholas Brothers, Fatz Weller etc...)